Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
EPICUROPOLIS
11 août 2015

Protreptique et philosophie

 

L’épicurisme : une négation de la rhétorique ?

La Lettre à Ménécée peut être considérée dans la philosophie épicurienne comme un texte protreptique par excellence, car il y est fait exhortation permanente à l’étude de la philosophie et l’application des règles de conduites. Le protreptique selon le mot de Monique Canton-Sperber est « un exercice de conversion, fondé sur des arguments et des raisons et qui destine la volonté et le désir du sujet à l’étude de la philosophie ainsi qu’à la pratique de la justice. »(Monique Canto-Sperber, Les Ethiques Grecques, essai-inédit, Paris, PUF-Quadrige, 2001, p. 23). Socrate pareillement dans ce dialogue du Gorgias, procède au même enseignement en face de Calliclès, même si de temps à autre le ton devient fort face à l’élève. Socrate exhorte Calliclès à reconnaître la supériorité de la justice sur l’injustice. C’est cette valeur de la justice qu’il aurait voulue que le politique enseigne aux citoyens et non ces fausses valeurs de la rhétorique, ou la sophistique pour faire court.

Pour faire accepter à Calliclès la prééminence de la justice sur l’injustice, c’est par le biais d’un mythe d’Homère que Socrate va passer pour étayer sa démonstration. La justice vient de la divinité, car « la loi qui en ce temps-là, régnait chez les hommes était la loi de Cronos, oui, la loi, qui, depuis toujours, et encore maintenant, règne par les dieux. Voici quelle est cette loi : si un homme meurt, après avoir vécu une vie de justice et de piété, qu’il se rende aux îles des bienheureux et qu’il vive là-bas dans la plus grande félicité, à l’abri de tout malheur ; mais s’il a vécu sans justice ni respect des dieux, qu’il se dirige vers la prison où on paye sa faute, où on est puni _cette  prison appelée le Tartare. » (Monique Canton, op.cit., 522e, p. 303). Ce mythe voudrait faire voir que la plupart des hommes politiques dont leur puissance ou leur grandeur émane de l’activité politique sont mauvais et leur destination après leur mort, c’est le Tartare. Socrate par cet exemple très édifiant, rappelle par ailleurs un enseignement fort des Lois de Platon, à savoir que les hommes politiques qui peuvent gouverner sans abuser de la loi, sont rarissimes, mais il est plus explicite quand il dit : « vivre une vie de justice, quand la possibilité d’agir sans justice est grande, est une chose difficile, et mérite bien des éloges. » (Ibid., p. 308). C’est donc dire que pour le sage la politique est ‘‘sale’’, elle souille l’âme, c’est pourquoi en cette circonstance l’épicurien peut affirmer « vis caché ». Socrate bien avant Epicure a déjà dégagé sa position : « je ne suis pas homme à m’occuper des affaires de la cité. » (Ibid., 473d, p. 185). Socrate a été à l’école des mythes d’Homère, notamment sur la destinée des âmes et sur les lois. Par son refus d’exercer la prytanie, c’est la preuve que toute son existence fut entièrement vouée à la philosophie. De l’avis de Monique Canton, Socrate n’a jamais été un politicien. Il a juste rempli les fonctions de membre du conseil, qui est une tâche normale que tout citoyen devrait  remplir à un moment de sa vie. Le conseil se composait de cinq cents membres, c’est-à-dire cinquante (50) représentants pour chacune des dix tribus. ‘‘Entrer au prytanée’’, c’est exercer les charges du comité exécutif, tribu après tribu. Ainsi lors d’un jugement de six généraux, Socrate fut le seul à voter contre leur condamnation à mort. Pour Socrate, la cité s’est écartée des vraies valeurs de la Grèce, c’est pourquoi il a choisi de prendre ses distances d’avec la vie politique. Dans le même sillage, et sous une autre forme, Epicure relativement à la situation de désarroi laissée par la mort d’Alexandre le grand a pris la même liberté de s’exiler de la vie politique, et comme Socrate : « être à la fois au centre de l’espace politique et tout à fait en dehors » (Ibid., p. 45).

De Socrate à Epicure nous nous situons dans un régime dit démocratique, où la foule et la rhétorique constituent le cœur de leur critique. La foule a manqué d’éducation civique, raison pour laquelle elle n’incarne pas à leurs yeux, le modèle du bon citoyen. La démocratie qui est censée être le gouvernement de la liberté, est devenue en réalité, « le gouvernement de la foule ». C’est cette foule qui a chassé le gouvernement des trente, qui possède dorénavant la liberté, qui fait ce qu’elle veut dans la cité. D’où le désordre social, les fausses accusations, les guerres des partis, l’injustice, l’insécurité. Or  pour gouverner, nous le savons, il faut être éminemment compétent. La foule étant ignorante, et charmée par l’Art des orateurs, ne sait pas distinguer le vrai du faux. Les rhéteurs sont donc parvenus par leurs discours à emmener la foule à croire à leur science, et à leur capacité à diriger l’Etat. Si Socrate n’a pas applaudi les exploits de Périclès, c’est parce qu’il estime que lui-même est sorti de ces écoles de sophistiques. C’est pourquoi nous souscrivons aux propos de Monique Canton pour donner raison à Socrate : « quand, face à une foule, un homme déclare qu’il sait, même s’il ne donne aucune preuve de sa compétence, une telle prétention de savoir aura autant de chances d’être tenue pour vraie qu’en aurait une véritable connaissance. » (Ibid., p. 68).

Pour Epicure tout comme Socrate, les sophistes sont responsables de l’introduction de nouvelles valeurs opposées à la tempérance par exemple. Par leurs enseignements, ils ont fait la rupture d’avec les valeurs traditionnelles de la cité. Dans les Nuées d’Aristophane, Monique Canto-Sperber nous fait partager cette remarque intéressante du jeune sophiste Phidippide : « considère (dit-il) [...] tout ce que la tempérance implique et de combien de plaisirs tu vas être privé, de jeunes garçons, de femmes, de jeu, de bons morceaux, de boissons, de joyeux rires [...]. Mais tu es avec moi, jouis de la nature, saute, ris, ne tiens rien pour honteux » (Aristophane les Nuées (1071-1079), in Monique Canto-Sperber, Les Ethiques Grecques, op.cit., p. 48). Autrement dit par leur nouvel enseignement, ils ont porté atteinte à la bonne moralité de la cité. Epicure en digne athénien ne peut que s’offusquer de cette nouvelle culture des valeurs dispensées par les sophistes. Et par suite, relativement même à la morale ascétique qu’il prône, il ne peut cautionner une telle philosophie, leur art pour tout dire.

Socrate et Epicure par leur éthique qu’ils professent, voudraient guérir les esprits de leurs concitoyens, leur inculquer les ingrédients moraux pour vivre harmonieusement dans la cité. Alors que les politiciens par leur Art ne cherchent qu’à faire plaisir au peuple, comme on donne du plaisir au théâtre ou en poésie.

Pour Socrate, le régime démocratique en laissant se développer de tels Arts, a concouru à rendre justement les citoyens médiocres, insensés. D’où ici tout le dégoût qu’il a vis-à-vis de ces Arts : « dans ce cas dit-il, il est possible de faire plaisir à toute une foule, sans chercher à savoir ce qui est le mieux. »(Monique Canton-Sperber, op.cit., p. 258). Autrement dit, le vivre mieux, ou ce qu’Epicure exprime par « avoir le souci de l’utile » est préférable à cette vie de luxure, de passion, de désordre. Ainsi les institutions démocratiques tout en accordant la liberté à la foule, ont créé les conditions de leur propre décomposition, c’est-à-dire la déconnection du citoyen des valeurs nobles de la cité : ordre, justice, harmonie.

Ceci étant considéré, nous pouvons dire que du IVe siècle au IIIe siècle av J.C., les similitudes sont on ne peut plus massives, éclatantes même. Avec Monique Canton-Sperber nous pouvons soutenir que la démocratie et la rhétorique ont été à la base de l’effritement de la cité Grèce grâce aux nouvelles valeurs qu’elles ont introduites, qui n’étaient pas en réalité de vrais biens pour l’amélioration morale du citoyen. La mort de Périclès d’un côté et la disparition d’Alexandre le grand de l’autre, rapprochent tristement et politiquement nos deux contextes. Pour Socrate ce fut un Apolitisme qu’on peut assimiler à de « l’atopie » et pour Epicure « vivre caché ».

De fait lorsqu’Epicure revient dans ses Maximes sur le sens de « l’utile » et de « juste » comme des leitmotivs, c’est pour fustiger le comportement des dirigeants qui ne visent qu’à susciter le plaisir de la foule, par leur politique d’expansion, de prestiges, sans se soucier de « l’utile ». En clair, ces politiciens préfèrent rehausser leur image de marque auprès de la foule, au lieu de chercher selon le mot de Monique Canton à combler leurs citoyens, à les rendre vertueux et heureux. Les maux de la cité, dés lors selon Socrate viennent des politiciens, car soutient-il : « certes, ces hommes, dit-on ont agrandi la ville, mais en fait, grâce à leur politique, elle est devenue une cité tout enflée de pu__ ce dont on ne se rend pas compte ! En effet, sans jamais se demander ce qui était raisonnable ou juste, ils ont gorgé la cité de ports, d’arsenaux, de murs, de tribus, et d’autres vanités de même genre ! Or, quand la crise arrive, sous la forme d’accès de faiblesse, les hommes qu’on accuse sont ceux qui se trouvent là, à essayer de conseiller la cité et, en revanche, ont fait l’éloge de Thémistocle, de Cimon, de Périclès, qui sont les vrais responsables des maux. »[1]. Ces propos très amers de Socrate vis-à-vis des politiciens qu’il accuse d’incompétents, aveuglés par leurs succès personnels, rejoint la même remarque sévère faite par Epicure dans les Maximes XXXVII et XXXVIII, où par le jeu des mots comme « mais là où », « alors »,  « mais, plus tard » il exprime bien son manifeste dégoût face à la décomposition du tissu social et des institutions. L’Athènes de Périclès et d’Alexandre le grand, sitôt après la disparition de leurs chefs, ont laissé apparaître le déficit de phronèsis de la part de ceux qui dirigent la cité. Qu’est-ce la phronèsis ? Le terme désigne essentiellement « la sagesse pratique par opposition à la sagesse théorique »[2]. Mais chez Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque (Liv.VI, 5, 1140a), la phronèsis représente la capacité à délibérer sur les moyens pour parvenir au bonheur. Autrement dit, si l’on s’en tient au sens d’Epicure, cette phronèsis  « enseigne qu’on ne peut pas vivre dans le plaisir sans vivre selon la sagesse, le bien et la justice. »[3]. C’est donc un tel principe qui a manqué dans le gouvernement de la cité, car les vraies vertus ont été sacrifiées au profit de l’assouvissement des passions.

Dés lors, la Maxime XXXVII peut se comprendre comme la mise en évidence de « l’hypocrisie politique » : dans la mesure où on ne peut pas vouloir la loi, l’établir, et subrepticement commettre l’injustice, ou fermer les yeux sur les mauvaises conduites de la foule. C’est pourquoi il emploie à bon escient le terme  « de mots vides » pour dire que ces lois ne sont plus utiles, car elles peuvent changer au gré des passions des orateurs. La licence même qui prévaut, mieux le désordre, montre à n’en point douter que ces lois n’ont aucune efficacité, aucune utilité pour l’intérêt commun.  Toutefois, nous pensons que sa critique ne vise pas sévèrement les anciens législateurs tels que Solon ou Dracon, mais il s’adresse plus excessivement aux rhéteurs, ces nouveaux législateurs, mieux ces nouveaux novateurs : dans le contexte de la Grèce du IVe-IIIe siècle  av. J.C., les orateurs faisaient et défaisaient les lois devant l’assemblée, car chacun voulait  par son talent voir son nom inscrit sur un projet de loi. Il est donc évident que par de telles procédures que les lois ne tiennent plus compte de l’intérêt commun. C’étaient à n’en point douter de telles lois qui ont eu des conséquences par la suite notamment lors de la condamnation de Socrate, ou qui ont retardé l’ouverture de l’école d’Epicure, ouverture qui la faisait dépendre préalablement d’une autorisation de l’assemblée et du conseil.  A partir des Maximes XXXVII et XXXVIII, nous pensons qu’Epicure invite donc les orateurs-législateurs à ne pas se figer dans les lois, mais de s’inspirer des autres constitutions, de s’instruire comme l’a déjà fait Solon qui s’est inspiré des lois Egyptiennes en cas de situations extrêmes. Mais Epicure qui a surtout beaucoup voyagé s’inspire de ses expériences, pour affirmer que : lorsque l’intérêt public n’est plus conforme au juste, il n’était plus utile et conforme au droit (ne fait plus force de loi). Et justement les révolutions ou les multiples crises que la Grèce a connues résultent  de ce manque de considération de l’intérêt public (to koinê sumphéron). Autrement dit, avance Victor Goldschmidt : « c’est parce que les constitutions sont d’accord avec la prénotion du juste, et non pas sur l’intérêt public qui s’harmonise avec elle, qu’elles sont sujettes comme chez Aristote, au changement (metapiptein, nous soulignons)».[4]. Face à cet état de choses, le sage qui a fort heureusement la prénotion du juste, de l’injuste et de l’utilité, sait quel choix faire car : « le juste est le plus exempt de désordre, l’injuste est rempli du plus grand désordre »[5]. Ainsi puisque celui qui a la charge de la loi ne va pas dans le sens de ce qui est utile, il va de soi que dans la représentation de la foule, l’injustice est plus avantageuse que de la subir, notamment en cette période de l’effondrement des institutions. Pour la foule, aussi longtemps qu’on peut commettre l’injustice sans être découvert, il est utile et juste de la faire, ne serait-ce que pour gagner des richesses ou exproprier autrui. Or Epicure dans les Maximes XXXIV et XXXV s’insurge contre une telle pratique du « juste », de « l’injuste », et de «l’utile » ; car à ses yeux, il n’est pas prouver qu’on puisse continuellement commettre l’injustice et échapper aux sanctions. La vérité rattrape toujours les imposteurs, les menteurs, les injustes, comme les accusateurs de Socrate qui pensaient jouir de leur forfait sans être confondus.

Aussi, contre l’injustice Epicure introduit l’idée  de remord, en montrant par là que même si elle échappe aux hommes, étant donnée que la foule croit fermement aux dieux : à la superstition, ou la croyance ; les tourments de l’injustice est une punition non des dieux, mais de leur propre acte. Car en effet le souci premier d’Epicure nous signale Victor Goldschmidt est de renforcer l’ordre social. Ne pas être découvert, c’est commettre l’injustice ; et l’expression ‘‘vivre caché’’ n’a pas le même sens que se ‘‘cacher’’ pour commettre d’injustice. Cette forme de ‘‘vie cachée’’ : se cacher pour ne pas être découvert, n’est pas une vraie assurance de tranquillité, car dans l’optique d’Epicure « vivre caché » ne s’applique qu’au sage qui ne peut jamais commettre d’injustice. D’où ici la fausseté de la thèse de ceux qui pensent que le sage peut commettre l’injustice s’il est sûr de ne pas être découvert comme le Gygès du mythe de Platon. D’un mot il n’y a aucune sécurité envisageable dans l‘injustice.

            Toutefois, pour se faire une claire idée de la propension de la foule et des dirigeants à commettre l’injustice tous azimuts, c’est à Fustel de Coulanges qu’il sied de revenir qui a bien vu qu’il y a un rapport intriqué entre politique et religion dans les cités Grecques. Faire la guerre par exemple entre les Etats, c’est aussi une participation à la dite guerre entre les dieux des deux camps. Dans leurs représentations, ou croyances établies, les dieux combattent avec les hommes. C’est pourquoi, après la défaite d’un camp, même les dieux sont faits prisonniers. Pour eux,  la guerre est un acte juste, utile pour la puissance de l’Etat. Or pour Epicure la guerre et la passion dénature la prénotion du juste : dans la guerre, il n’y a pas de considération du juste ou de l’injuste. C’est cette déformation du droit qui va équivaloir dans les représentations collectives, et se répercuter au niveau des institutions : assassinats, trahison, mensonges, expropriation des biens d’autrui, etc. Fustel de Coulanges nous rapporte une anecdote qui témoigne de leur compréhension erronée du juste et de l’utile dans l’action politique par exemple : le consul Marcius se vantait publiquement d’avoir trompé le roi de Macédoine. Paul Emile vendit comme esclaves cent mille Epirotes qui s’étaient remis volontairement dans ses mains. Le Lacédémonien Phébidas, en pleine paix, s’était emparé de la citadelle des thébains. On interrogeait Agésilas sur la justice de cette action, il affirmait : « Examinez seulement si elle est utile, dit le roi ; car dés qu’une action est utile à la patrie, il est bon de la faire. »[6]. Un autre roi de Sparte, Cléomène, disait à ‘attention de ses concitoyens que tout le mal qu’on pouvait faire aux ennemis était toujours juste aux yeux des dieux et des hommes. La croyance en cette caution de l’injuste était fortement ancrée dans la foule qu’elle a nuit toutes les tentatives des philosophes à vouloir apporter une thérapie à ces mentalités. Or ces histoires vraies rapportées par Fustel de Coulanges permettent de dire que même l’appréciation de Socrate à propos d’Aristide est dés lors fausse, car selon Plutarque : « Aristide lui-même ne fait pas exception, car il avait professé que la justice n’est pas obligatoire d’une cité à l’autre. »[7]. En d’autres termes, tout était permis dés lors que les dieux laissent faire. Athènes peut décréter de massacrer tous les Mityléniens, cela est permis par les dieux, et exterminer seulement mille citoyens rien que pour confisquer leurs terres, est mois cruel que les exterminer tous. La barbarie était systématique, elle s’étendait aux champs, aux maisons, aux hommes et aux animaux. C’est donc  à partir dire de tout ce qui précède, que les dieux étaient tout puissants dans toute l’histoire de la Grèce. Raison pour laquelle, même un serment lorsqu’il est formulé, c’est sous l’égide du dieu par l’immolation d’une personne. C’est pourquoi ils disent souligne Fustel de Coulanges, que « signer un traité, c’est égorger la victime du serment, ou faire libation. »[8]. Ainsi nous pouvons comprendre pourquoi le Grec, quelles que soient les institutions ou les lois qui le commandent, n’a d’obligation que pour les dieux. Car, il faut le noter, c’est une vérité établie que dans la Grèce, la religion fonde et a fondé la famille et la cité. Mais avec la démocratie, le trop plein de liberté que le citoyen a retrouvé, il s’est coupé pouvions-nous dire des lois, pour ne plus s’occuper que des rois et des tyrans, pour lesquels ils érigent dorénavant des statues.

Epicure savait cette puissance de la croyance de la religion dans les esprits de ses concitoyens, car très tôt déjà il accompagnait sa mère à des scènes d’exorcismes. C’est pourquoi, tout en assumant son retrait de la cité, il prit soin d’inviter  constamment ses amis à ne pas se couper d’avec les cultes et les fêtes de la cité. Car en cette période, les prêtres étaient puissants et craints. Par ce retrait, Epicure à nos yeux a protégé ses amis de la superstition et des pratiques barbares de l’immolation des hommes. Mieux dans cette corruption de la cité les amis ne peuvent pas être vertueux sans ce retrait de la cité. La reconquête de l’auterkeia, c’est aussi la découverte de la liberté intérieure.

Il apparaît donc qu’à travers les Maximes du droit tout comme dans sa théorie de l’amitié, il y a une exhortation à respecter la loi, et les cultes de la cité. Par conséquent par rapport à la thèse de Calliclès qui prétend accorder un droit naturel à l’injustice, nous voyons bien d’après tout ce qui est dit ci haut, qu’Epicure s’accorde bien avec Socrate pour réfuter la naturalité de l’injustice. Soutenir une telle thèse, c’est faire preuve d’insuffisance de rationalité. Les insistances d’Epicure sur l’injuste dans ces Maximes traduisent bien le fait qu’il fut un témoin privilégié de son époque, où l’injustice a véritablement sévi comme une vraie « peste ». L’expression même de «  dix mille fois » de la Maxime XXXV montre à l’évidence l’exacerbation de cette injustice. C’est pourquoi nous ne pouvons pas envisager  la recherche et la réalisation de son Ataraxie sans avoir établi l’existence de sa philosophie politique, qui est au vu de tout ce qui précède est fondamentalement Ethico-politique, à travers son Apolitisme.

Ceci étant considéré, nous pouvons donc affirmer que son Apolitisme vise essentiellement la réalisation de ce souverain bien qu’est l’Ataraxie, la tranquillité de l’âme (du latin summa pax). Dans la Maxime XXXIX, Epicure donne les ingrédients de ce summa pax en ces termes : « celui qui a le mieux contrôlé les éléments de trouble qui viennent du dehors, celui-là s’est fait un allié de ce qui peut l’être, et ce qui ne peut l’être, au moins il ne s’est pas aliéné ; quant à tout ce vis-à-vis de quoi il n’a pas même eu un tel pouvoir, il a cessé d’avoir des relations avec, et il a écarté de sa vie tout ce qu’il lui était avantageux de traiter ainsi. »

 

 

 



[1] (Monique Canton, op.cit., p. 295)

[2] (Sophie Van Der Meeren, Lettres d’Epicure, Paris, éd. La Philothèque, 2003, p. 124)

[3] (ibid.)

[4] (Victor Goldschmidt, La Doctrine d’Epicure et le Droit, Paris,  J. Vrin, 2002, p. 201)

[5] (Marcel Conche, Epicure, Lettres et Maximes, Paris, PUF, 2005, p. 237)

[6] (La cité Antique, Parsis, éd. Hachette, 1930,  p. 243)

[7] (Ibid.)

[8] (Fustel de Coulanges, op.cit., p. 245)

Publicité
Publicité
Commentaires
EPICUROPOLIS
Publicité
Archives
Publicité